temoignage mutatio

Depuis le premier confinement de mars 2020, la distance s’est imposée dans nos vies et dans nos modes de collaboration en entreprise. Grâce à la technologie, le lien social a pourtant pu se maintenir. Et même si les écrans ont remplacé la présence humaine, l’humain, lui, n’a paradoxalement pas disparu. Il a pris une autre forme. C’est ce que nous explique Stéphanie Colson, coach professionnelle, fondatrice de Mutatio Coaching

Que pouvez-vous nous dire des 18 mois qui viennent de s’écouler et de leurs effets sur les collaborateurs en entreprise ?

Ces 18 mois ont imposé un nouveau modèle dans les entreprises, celui du travail à distance. Or, en France, comparé à certains pays du nord de l’Europe par exemple, nous n’étions pas habitués à pratiquer le télétravail. Ce nouveau mode de travail à distance, associé à la perte du lien social physique, a plus ou moins bien été vécu par les salariés.

Dans le camp de ceux pour qui l’expérience s’est bien passée, on trouve bien entendu les collaborateurs les plus acculturés au digital, ceux qui utilisaient déjà au quotidien tous les outils de collaboration distante. On trouve également ceux qui disposaient d’un espace de travail confortable et d’une situation familiale permettant de travailler dans de bonnes conditions. On trouve aussi des profils de collaborateurs à la personnalité plus introvertie, qui ont ressenti avec cette absence d’interaction physique, un véritable soulagement.

Mais d’autres ont souffert de cette situation. Ceux dont les situations personnelles étaient plus compliquées, ceux qui vivaient dans des logements étroits, ou encore ceux dont l’épanouissement passe justement par le jeu des interactions, ont trouvé cet isolement très difficile à vivre.

Qu’a engendré selon vous cette diminution des interactions sociales ?

Je ne poserais pas forcément la question de cette manière. En réalité, grâce à la technologie et aux outils numériques, nous avons continué à interagir avec les autres. Ce sont les modalités des interactions qui ont changé et on a pu constater que, au-delà de la fatigue et des problèmes techniques engendrés par ce mode de travail, les situations préexistantes se sont amplifiées.

Parfois, l’interaction sociale dans l’entreprise n’existait déjà pas en présentiel et les collaborateurs se sentaient très seuls. Dans ce cas, la mise à distance n’a fait que renforcer l’isolement des individus mais ce ne sont pas les modes de collaboration qui ont provoqué cet isolement.

En revanche, dans les entreprises dans lesquelles la collaboration et les interactions sociales étaient saines, les managers et les équipes ont eu beaucoup plus de facilité à maintenir le lien. Ils ont trouvé les moyens d’adapter à distance ce qui se faisait déjà dans les locaux de l’entreprise.

Il est à noter qu’il y a des cas où la distance a même eu des effets salutaires pour les individus. Dans les cas d’environnements de travail toxiques ou de comportements harceleurs, les “victimes” ont pu bénéficier d’un temps de répit et se sentir protégées par la distance physique imposée.

Quelles sont les modalités qui ont changé ?

Il faut reconnaître que les managers ont été en première ligne dans cette nouvelle organisation. Après avoir dû s’adapter dans l’urgence, ils se sont posé beaucoup de questions. Des questions concernant la méthode : Comment rythmer la production ? Comment travailler un peu plus en confiance et moins en contrôle ? Comment monter une réunion efficace ?

Mais aussi des questions simples et pragmatiques : A quel moment puis-je appeler mon collaborateur ? Dois-je lui envoyer un email avant ? Quel réflexe prendre pour remplacer le simple passage dans un bureau pour poser une question ?

Ils ont dû apprendre à travailler avec tous les outils digitaux que la technologie actuelle permet. Il faut reconnaître qu’il y a 20 ans, les entreprises n’auraient jamais pu maintenir leur activité comme elles l’ont fait depuis 2020.

Paradoxalement, ces technologies ont même parfois humanisé la relation. La visioconférence – caméra ouverte ! – notamment, a été l’un des leviers de cette humanisation. En apercevant une petite partie de l’intimité de son collaborateur, son intérieur, ses enfants éventuellement, la relation s’en est trouvée modifiée. Les masques de la vie sociale et professionnelle sont tombés. On a constaté une plus grande authenticité et plus de sincérité dans les échanges.

La technologie a donc permis de pallier la distance mais a-t-on été aussi efficace, ou plus efficace ?

Il me semble que nous avons énormément gagné en temps et en efficacité lorsqu’il a été question de monter des réunions, d’impliquer des équipes. Finalement, il est parfois plus facile de réunir 10 personnes par visio que physiquement dans une salle. Et seules les réunions nécessaires ont été maintenues contrairement à ce qui se faisait il y a quelques années où la réunionite était courante.

Et puis, nous avons gagné en confiance. Nous avons tous été amenés à travailler avec moins de contrôle et de reporting dans tous les sens. Le management a donc dû se réinventer et je pense que ces apprentissages vont perdurer.

En revanche, il y a certaines situations où nous avons perdu en spontanéité, en créativité. Par exemple dans le domaine de la formation ou de l’enseignement, lorsque tout le monde est réuni dans une salle, énergétiquement parlant il se passe quelque chose qu’il est plus compliqué de faire vivre à distance. L’interaction physique reste indispensable. On ne pourra pas (et il ne faudrait pas) la supprimer totalement.

Les modalités de retour au bureau à la rentrée restent encore incertaines. Qu’observez-vous chez vos clients ?

Il me paraît impossible de revenir à nos organisations telles qu’elles étaient en 2019. Chacun a pris du recul et a goûté à un nouveau mode de vie : équilibre pro / perso, moins de temps perdu dans les transports, plus d’autonomie dans son planning… Qui plus est, les entreprises sont en train de poser les bases d’une nouvelle façon de travailler. La plupart des projets qui se dessinent envisagent une organisation hybride avec 2 ou 3 jours de télétravail et le reste en présentiel.

Comment vos clients abordent-ils cette rentrée ?

Il y a ceux qui se réjouissent de reprendre le chemin du bureau et de retrouver ce qui leur a tant manqué : les pauses à la machine à café, les déjeuners avec les collègues, les réunions en présentiel, etc. Et il y a ceux qui appréhendent, voire qui angoissent à l’idée de devoir retourner sur leur lieu de travail.

Ceux-là avaient trouvé une forme d’épanouissement pendant ces 18 mois et ils n’ont plus envie de ressortir de chez eux, comme s’ils quittaient un cocon protecteur. On dit qu’ils sont atteints du “syndrome de la cabane”. C’est une vraie pathologie que nous allons avoir à traiter dans les mois à venir…

Quel que soit le dispositif, quels conseils donneriez-vous aux entreprises pour retrouver de l’humain dans leur quotidien ?

Mon conseil est simple. Dans ces modes hybrides, il faut que chacun expérimente le distanciel comme le présentiel. Et que les équipes tournent pour ne pas se retrouver toujours avec les mêmes collègues au bureau en même temps.

Il faut également qu’aucun mode de travail ne soit valorisé plus que l’autre. Pour que personne ne se sente pénalisé. Concrètement, cela veut dire adopter des outils de collaboration (visio, partage de données, etc.) qui permettent de recréer à l’identique le poste de travail d’un collaborateur présent au bureau.

Lors d’une réunion, il faut que chacun dispose des mêmes éléments. Cela veut dire continuer à considérer son écran comme le support principal de la réunion. Il ne s’agit pas de projeter un PowerPoint à 6 personnes dans une salle et que ceux qui travaillent à distance ne le voient pas. L’écran doit rester le repère pour chacun.

Enfin, il ne faudra pas oublier tous les salariés qui ont été recrutés à distance et qui vont donc seulement aujourd’hui découvrir la vie de bureau de leur entreprise. Pensez à aller déjeuner avec eux ! Cela reste la première bonne idée pour socialiser !